GRÈCE MODERNE - La péninsule hellénique

GRÈCE MODERNE - La péninsule hellénique
GRÈCE MODERNE - La péninsule hellénique

Pays méditerranéen et balkanique par sa situation, la Grèce est en Europe un petit État tant par son territoire que par sa population: 10 288 000 habitants en 1992, très inégalement répartis sur 132 000 km2 (densité moyenne 78 hab./km2). Mais, par sa signification historique et sa position géographique, la Grèce dépasse singulièrement ces dimensions restreintes. Les traditions multiséculaires d’émigration ont multiplié les points d’ancrage de la grécité, éparpillant la diaspora hier en Amérique du Nord, en Australie ou même en Afrique noire, aujourd’hui en Europe de l’Ouest, notamment en république fédérale d’Allemagne. La fidélité des Grecs à leur langue, leur attachement à l’orthodoxie leur ont permis de survivre aux invasions et aux occupations étrangères.

Après la période de reconstruction économique qui suivit la Seconde Guerre mondiale et une guerre civile particulièrement fratricide et meurtrière (1946-1949), la Grèce s’est engagée dans la voie du développement libéral. Avec 6 000 dollars de revenu national brut par tête en 1990, le pays est encore très loin des grandes nations développées; il se classe au rang des économies intermédiaires des péninsules méditerranéennes, où les retards et les archaïsmes sont aussi présents que la croissance est vive, parfois «miraculeuse», toujours fragile. Cependant, cette croissance économique reste inséparable de la dépendance des investissements internationaux.

Depuis 1974, deux événements importants ont accentué la solidarité qui lie la Grèce à l’Europe et, au-delà, à l’ensemble du monde occidental. En 1974, la chute des colonels, après sept ans de dictature militaire, a ramené le pays au sein des démocraties parlementaires, mettant un terme – définitif? – à près de quarante ans de régimes autoritaires, ou même fascisants. Le 1er janvier 1981, la Grèce est devenue le dixième membre de la Communauté économique européenne (Marché commun), après un processus d’association qui a duré deux décennies (signature du premier accord le 9 juillet 1961).

1. La nature

Un relief montagneux et fragmenté

La Grèce est montagneuse plus qu’elle n’est maritime; ses plaines, souvent petites et isolées, représentent moins du tiers du territoire national, contre 43 p. 100 de terrains montagneux dont le parcours est en général difficile. Les côtes, pour la plupart abruptes et fermées, sont rarement précédées par une vaste plate-forme littorale: elles offrent cependant quelques sites portuaires qui furent à la mesure de la navigation à voile, mais dont la capacité d’accueil aux bâtiments modernes est limitée et dont les liaisons avec l’arrière-pays sont malaisées.

La Grèce est extrêmement fragmentée; les unités naturelles, dont la taille va croissant du sud au nord, sont de faible étendue: entre les plaines de Thessalie et de Macédoine qui présentent les horizons les plus dégagés du pays, l’Olympe (2 917 m) n’est qu’une montagne isolée dominant immédiatement les dépressions et le littoral voisins. Cet ensemble de caractères, qui n’a pas favorisé les regroupements régionaux, continue d’imposer aux communications de lourdes servitudes et s’ajoute aux causes d’ordre historique pour expliquer le retard économique du pays.

Les montagnes du Pinde et leurs prolongements péloponnésiens (Érymanthe, Ithôme) constituent l’axe orographique principal de la Grèce. C’est un obstacle peu franchissable, bien que d’altitude modeste (2 637 m au Smolikas, en Macédoine), et il constitue, surtout au nord du golfe de Corinthe, une véritable barrière entre les versants ionien et égéen: l’itinéraire routier principal le contourne par le sud.

La péninsule hellénique occupe l’extrémité méridionale de la chaîne de plissement, d’âge alpin, des Dinarides ; on suppose que celle-ci se raccorde au système du Taurus selon une large virgation que jalonnent les témoins insulaires des archipels de la mer Égée. Au nord, cependant, le massif des Rhodopes n’appartient pas à cet ensemble plissé; il constitue un noyau consolidé et granitisé beaucoup plus rigide, de part et d’autre duquel les Dinarides et le Balkan se développent symétriquement.

L’édifice des Dinarides est assez bien connu: on y repère une série de nappes de charriage selon lesquelles les unités les plus orientales chevauchent à l’ouest les unités externes, avec un décalage chronologique tenant à ce que l’onde orogénique s’est propagée d’ouest en est à travers le géosynclinal. La variété lithologique est considérable: batholites granitiques des Rhodopes, schistes anciens et calcaires marmorisés des montagnes d’Attique et de Laconie, hauts voussoirs de calcaire récifaux de l’Olympe et du Parnasse, énormes paquets de roches vertes de Macédoine occidentale, cantons du Pinde où le flysch est creusé en sillons que dominent des écailles de calcaires ou de radiolarites. Mais les formes structurales sont rares. Les séries sédimentaires sont puissantes quoique peu contrastées, beaucoup de versants sont émoussés et nappés d’éboulis, ou bien constitués d’un amas de blocs chaotiques; quantité de dépressions de toutes tailles ont en outre évolué en poljés dont les fonds sont colmatés par d’épaisses couches de débris, fragmentés au cours des périodes froides du Quaternaire.

La trame générale du relief est commandée par la disposition des grandes unités structurales de direction est-ouest qui constituent l’armature de la chaîne plissée et qui furent, après le Miocène, hachées par des failles gigantesques. Ces dernières sont responsables de l’individualisation des îles et des principales unités orographiques. Les plus importantes de celles-ci se développent transversalement à la chaîne plissée, telles celles qui orientent le golfe de Corinthe ou l’étranglement de la Grèce centrale entre les golfes d’Arta et de Lamia. De là un caractère décisif du relief de la Grèce: les pentes y sont escarpées, car elles traduisent souvent le jeu de failles peu anciennes: ainsi la rive méridionale du golfe de Corinthe, où une épaisse série sédimentaire détritique plio-villafranchienne a été relevée de plus de 1 500 mètres, ou encore le site de Delphes, que domine un escarpement tectonique récent de quelques centaines de mètres.

Ces mouvements à composante verticale se sont prolongés jusqu’au Quaternaire et ont contribué à la formation de quelques bassins subsidents qui constituent le cadre de la majorité des zones basses et des plaines: alvéole de Kozani, plaine de Thessalie, bassin de Megalopolis, etc. Ils furent localement accompagnés de manifestations volcaniques génératrices d’édifices répartis en deux guirlandes concentriques: la plus externe joint Nisyros (Dodécanèse) à Égine en passant par Santorin, l’autre est inscrite dans le secteur médian de l’Égée entre le nord de l’Eubée et Lesbos; qu’il s’agisse d’échos du plissement tertiaire à l’avant de la chaîne, dans le secteur ionien, ou de rajustements de l’équilibre de l’écorce dans les zones internes, l’activité sismique reste considérable.

Les nuances d’un climat méditerranéen

Les paysages helléniques doivent beaucoup aux incidences climatiques. La Grèce est comprise dans l’aire d’extension du climat méditerranéen auquel sa position géographique apporte quelques nuances. Les étés sont ensoleillés, chauds et secs, le plus souvent brusquement interrompus par l’abaissement des températures, la reprise de la circulation cyclonique et quelques précipitations brutales. L’hiver est doux et pluvieux: novembre et décembre reçoivent à Athènes les deux tiers des précipitations annuelles, et des coulées d’air septentrional, en arrivant au contact des dépressions cycloniques qui circulent d’ouest en est, peuvent provoquer des chutes de neige. Le printemps est aussi brusque et rapide que l’automne.

La présence de la mer et le découpage des côtes constituent un efficace régulateur thermique, quoique le relief en limite l’influence en direction de l’intérieur: ni les montagnes, plus fraîches et plus humides, ni les bassins fermés, dont la disposition accroît les amplitudes thermiques, ne relèvent du climat méditerranéen; l’olivier et les autres espèces qui le caractérisent en sont d’ailleurs exclus et divers feuillus les remplacent. Chênes caducifoliés d’Épire et de Macédoine, châtaigniers de Chalcidique et du Pélion, sapins de Céphalonie du Taygète au Parnasse, hêtres du Pinde constituent des forêts jusqu’à présent peu exploitées, mais souvent dégradées par les incendies ou le surpâturage; les versants dénudés de quelques montagnes de Macédoine ou des îles des Cyclades l’ont été par les hommes qui cherchaient du bois d’œuvre ou des herbages et qui livrèrent les sols aux assauts d’une érosion aggravée par la vigueur des pentes et le caractère excessif des précipitations. L’extension des deltas (Vardar, Aliakmôn), le recul historique des lignes de rivage (Thermopyles), l’envasement des lagunes et la croissance des cordons littoraux (Missolonghi) donnent la mesure de cette érosion.

Le versant ouest de la Grèce, de l’Épire au Péloponnèse, diffère nettement du versant égéen. Directement exposé aux vents de secteur ouest, il essuie la plupart des dépressions cyclonales d’origine atlantique, dont l’obstacle de la côte et de la montagne augmente l’effet pluviométrique: Corfou reçoit 1 365 mm d’eau par an contre 435 mm à Thessalonique qui est sous le vent. Les cours d’eau tributaires du versant ionien, plus abondamment et plus régulièrement alimentés, ont donc permis l’installation de barrages hydro-électriques: ouvrages du Ladôn, du Louros et de l’Aspropotamos.

L’exposition directe à l’ouest provoque dans les montagnes de cette partie de la Grèce des chutes de neige fréquentes, de novembre à mars, et réparties de l’Épire au Taygète et aux montagnes Blanches de Crète occidentale. Cependant, à l’exception de dépressions intramontagnardes comme le poljé à demi inondé de Jannina, les plaines et les basses vallées de la Grèce occidentale sont à l’abri des froids stagnants les plus redoutables pour les cultures. En effet, les courants méridiens d’air froid suivent le lit de la mer Ionienne parallèlement au rivage, dans le prolongement de la bora adriatique; ainsi la plaine d’Arta, qui est en outre bien ouverte sur la mer, porte-t-elle de vastes plantations d’agrumes dont on ne retrouve l’équivalent, sur la façade orientale, qu’en Corinthie, à une latitude inférieure.

À la Grèce occidentale, humide, tiède et verdoyante, s’oppose la Grèce orientale, plus sèche dans l’ensemble, où la couverture végétale est plus discontinue et où le morcellement du relief accentue les amplitudes thermiques et les oppositions de versants. Les plaines intérieures (Thessalie, Béotie), les bassins macédoniens (Serrai, Dhrama), les dépressions élevées (Tripolis du Péloponnèse) connaissent des étés torrides dont de coûteux travaux d’irrigation pallient le déficit en eau, mais leurs hivers sont assez froids pour exclure l’olivier et limiter la vigne. La part des précipitations estivales (20 mm en juillet à Thessalonique) montre une tendance à la continentalisation du climat, que marquent aussi les vents de secteur nord dans le bassin égéen: le vardari , qui refroidit en hiver les plaines de Thessalonique, et le meltemi , qui en saison chaude balaie très régulièrement la mer Égée en s’y chargeant d’une humidité qu’il abandonne sur les pentes des îles et des montagnes de Grèce centrale.

Le relief est difficile et le climat, parfois séduisant, est rude; la nature n’est-elle donc qu’ingrate en Grèce? L’affirmer serait ne pas tenir compte de l’alliance du soleil et de l’eau (qui peut faire lever, sur des terres de plaine limitées en extension mais fertiles, d’abondantes récoltes), de l’alliance du soleil et de la mer, qui attire les touristes, et d’importantes ressources minières encore peu exploitées que recèle le sous-sol.

2. Le poids de l’histoire

Au-delà des traits de l’environnement (succession de chaînes montagneuses et de petites plaines internes ou littorales, ou proximité constante, sauf au cœur de la Grèce continentale du Nord, de la mer) et des contraintes de l’émiettement insulaire, l’organisation sociale et politique de l’espace imprime une continuité, qui rattache la Grèce contemporaine à la Grèce ancienne. Héritière de la cité-État de l’Antiquité, la petite ville est partout présente, constituant avec ses alentours – souvent une dépression bordée de hauteurs – la véritable cellule de la vie de relation et de la production économique. Malgré le désenclavement, routier sur le continent, maritime avec le développement des car-ferries dans les îles, en dépit de l’écrasement par la capitale, Athènes, de tous les rouages de la nation, cette structure élémentaire s’impose.

Le second legs de ce patrimoine historique appartient à la Méditerranée orientale et aux Balkans. Seule la Grèce du Nord – la Macédoine et surtout la Thrace, avec ses minorités turques – reflète encore ces mosaïques de cultures, ces bigarrures ethniques qui caractérisent l’Europe centrale et orientale. Certes, près de 99 p. 100 des habitants du pays sont considérés comme de «purs Grecs» au recensement de 1971, au nombre desquels, évidemment, il faut compter les citoyens grecs d’origine turque de Thrace. Mais les traces de l’Orient sont ailleurs: dans les retards de l’urbanisation; en 1981, 30 p. 100 de la population vivaient encore dans des communes de moins de 2 000 habitants (population «rurale») et 12 p. 100 dans des communes «semi-urbaines» de 2 000 à 10 000 habitants, qui sont souvent de gros bourgs beaucoup plus que de petites villes. La répartition des activités répond à cette persistance de campagnes peuplées et d’une paysannerie nombreuse: selon le recensement de 1971, sur 3 230 000 actifs, la Grèce en dénombrait encore 1 310 000 (plus de 40 p. 100) dans l’agriculture, l’élevage, l’exploitation forestière ou la pêche. Un autre signe de ces lenteurs historiques est constitué par le retard socioculturel, dont témoignait naguère encore l’importance de l’analphabétisme. En 1990, parmi la population âgée de plus de 15 ans, on comptait encore 6,8 p. 100 d’illettrés, et plus de la moitié des personnes interrogées déclarait n’avoir pas terminé l’école primaire. Mais, par ailleurs, la Grèce est un pays moderne, où les mobilités de tous ordres, démographiques, économiques, sociologiques, s’accélèrent à un rythme sans cesse plus rapide. La Grèce contemporaine a connu en moins d’un demi-siècle ce que la Méditerranée occidentale avait vécu en un demi-millénaire: la sédentarisation des derniers grands nomades, la descente des montagnards vers les plaines, qui représente beaucoup plus une victoire sur la malaria et le paludisme que sur l’insécurité traditionnellement invoquée, l’exode rural vers les grandes agglomérations du pays, et avant tout la première d’entre elles, Athènes, et enfin l’émigration vers les foyers industriels de l’Europe du Nord.

Dans ces phases d’occupation de l’espace, la nation émerge en 1830 de plus de quatre siècles de domination ottomane. Il faut attendre 1834, la renaissance d’un État grec, sous la protection concurrente de l’Angleterre, de la France et de la Russie, l’arrivée sur un trône mal assuré d’un jeune roi bavarois, Othon, pour que la Grèce revienne en Grèce et que la diaspora regarde à nouveau vers Athènes. Désormais, la Grèce est une patrie.

Il faudra plus d’un siècle pour que ce recentrage de la nation s’achève, un siècle pour rassembler autour du petit royaume de 1830 les lambeaux de l’hellénisme continental et insulaire. De cette unité nationale, constituée par étapes, il reste une coupure vivace entre la «Vieille Grèce» du traité d’Andrinople de 1829, plus méridionale et méditerranéenne, et la «Nouvelle Grèce», septentrionale et balkanique. Demeure surtout l’héritage d’une organisation géographique très centralisée autour d’une capitale économique et politique, qui a conquis progressivement le droit d’être le centre de la nation grecque: cinquante ans pour qu’Athènes triomphe de ses rivales portuaires et insulaires (Patras dans le Péloponnèse, Ermoupolis dans les Cyclades), cinquante ans encore pour que l’échec de la «Grande Idée» – l’annexion des régions littorales d’Asie mineure – ruine l’espoir d’un panhellénisme égéen, entraîne le rapatriement sur le territoire continental, et notamment en Grèce du Nord, d’un million et demi de nationaux et scelle définitivement, semble-t-il, les destinées européennes du pays.

Enfin, dans l’espace grec, le cosmopolitisme traditionnel des élites nationales tisse, à l’heure de la dépendance extérieure et du développement économique, sous l’impulsion des investissements étrangers, des liens d’association avec le capital international rarement égalés. La bourgeoisie s’associe, dans un échange inégal, aux capitaux italiens, français, américains ou japonais, pour exploiter les ressources du pays, ses matières premières, son tourisme ou sa main-d’œuvre, partir à la conquête d’un marché intérieur, dont les potentialités s’accroissent, et s’imposer de façon compétitive sur les marchés extérieurs, européens, du Moyen-Orient ou de l’Afrique du Nord.

3. Les hommes et la diversité économique

Une démographie de pays riche, une émigration de pays pauvre

Pays ambigu par son passé, la Grèce l’est aussi par sa population. Avant même le décollage économique, la fécondité paraissait ralentie. Les taux de natalité se situent autour de 19 p. 1 000 au début des années vingt (18,9 en 1923, 19,5 en 1924). Seule la vitalité des réfugiés d’Asie mineure amène un redressement remarquable (31,3 p. 1 000 en 1930). Mais ce regain est de courte durée et même l’immédiat après-guerre n’engendre pas des familles très nombreuses. Depuis le début des années soixante-dix, la Grèce se maintient à un niveau de natalité très moyen (16 p. 1 000 en 1971, 15,3 p. 1 000 en 1980). Les causes de cette situation démographique sont complexes: l’influence de la religion orthodoxe, plus permissive que la religion catholique sur la question de l’avortement, les conséquences du régime dotal des filles, qui retarde l’âge du mariage, n’y sont certainement pas étrangères. Un autre signe de cette maturité de la natalité grecque est la diminution très rapide des écarts régionaux. Si le Péloponnèse et les îles Égéennes, épuisés par plus d’un siècle d’exode rural et d’émigration, ont un taux de natalité de 13,5 p. 1 000 (en 1980), deux points seulement les séparent désormais des régions les plus fécondes: les fortes natalités ne se sont maintenues ni en Épire, économiquement retardée (14,1 p. 1 000), ni en Macédoine, malgré la présence des descendants des réfugiés d’Asie mineure (14,8 p. 1 000), ni même en Thrace, en dépit des Turcs, poussés par la pauvreté et le régime d’Ankara à avoir des familles nombreuses (15,7 p. 1 000). Seul, le taux de natalité dans l’agglomération athénienne, en raison de la jeunesse de la population, est plus élevé (16,8 p. 1 000 en 1980).

Ces dynamismes naturels ralentis se doublent d’une mortalité relativement faible, due moins à la jeunesse de la population qu’à l’équipement socio-médical assez satisfaisant. Depuis près de quinze ans, les taux de mortalité oscillent entre 8 et 9 p. 1 000, au gré des épidémies (9 p. 1 000 en 1980) et la réduction de la mortalité infantile est particulièrement remarquable, en raison des campagnes de vaccination efficaces. Dans les années cinquante, on comptait encore 40 décès de bébés de moins d’un an pour 1 000 naissances vivantes; en 1980, on en compte moins de 18 pour 1 000. Là encore, les disparités régionales reflètent beaucoup plus les inégalités des structures d’âge que la densité ou la qualité des établissements hospitaliers (mortalité générale de 7,9 p. 1 000 en 1980 à Athènes, de 11,7 p. 1 000 dans les îles Égéennes les plus vieillies).

La combinaison de cette structure démographique de pays développé, longtemps associée à une forte émigration, explique la faiblesse de la croissance de la population. Après les dernières saccades d’une évolution démographique en sursauts brutaux, dus à l’histoire politique (arrivée des réfugiés d’Asie mineure après l’échange de population prévu par le traité de Lausanne en 1923, annexion du Dodécanèse en 1947), la Grèce s’est engagée dans une lente croissance: 7 630 000 habitants en 1951, 10 288 000 en 1992. Cette accélération de la croissance démographique est due entre autres au retournement de la balance migratoire avec l’étranger.

Traditionnellement en effet, la Grèce est un pays d’émigration: la pauvreté des campagnes méditerranéennes, associée aux possibilités d’accueil à l’étranger des colonies de la diaspora, faisait de la terre grecque un pays d’exode. De 1906 à 1915, pour une population qui ne dépassait pas 3 millions d’habitants, plus de 250 000 Grecs s’étaient exilés définitivement, dont la quasi-totalité était fixée aux États-Unis. C’est le début de la grande période de l’émigration transocéanique qui conduisit les natifs de la Grèce méridionale – Péloponnèse et Cyclades essentiellement – en Amérique du Nord et très secondairement ensuite vers l’Australie. Ces émigrés ne conservaient que des liens assez lâches avec la patrie, sauf si, enrichis, ils faisaient profiter leur village d’origine de leur générosité (création d’une fontaine, fondation d’un collège) ou y rentraient au soir de leur vie. Depuis lors, l’émigration transocéanique s’est tarie: moins de 10 000 départs annuels depuis 1970 pour plus de 5 000 retours.

Depuis le début des années soixante, ces départs lointains ont été relayés par les mouvements de travailleurs migrants vers l’Europe industrielle. Entre 1963 et 1965, on a compté jusqu’à 120 000 départs annuels, cette fois-ci surtout de la Grèce du Nord (Macédoine et Thrace), la plus féconde et la moins affectée par les ponctions démographiques de l’agglomération athénienne. Les caractéristiques de cette nouvelle émigration sont différentes. Le recrutement en est souvent organisé: l’existence d’une commission mixte germano-grecque explique que sur les quelque 200 000 travailleurs fixés en Europe occidentale vers 1970, près des trois quarts se soient installés en république fédérale d’Allemagne, notamment dans les Länder méridionaux, le Bade-Wurtemberg, la Bavière, près des complexes de mécanique et de métallurgie différenciée. Au total, et avec les familles, ce sont plusieurs centaines de milliers de Grecs qui étaient expatriés temporairement, à 3 000 kilomètres de chez eux. Cet éloignement n’était pas suffisant pour interrompre des liens permanents avec le pays d’origine: mariage, éducation des enfants, souvent à la charge des grands-parents, retours périodiques pour les vacances, réinvestissement aussi des «remises» dans la maison familiale ou l’exploitation agricole. Le maintien de ces relations justifie encore que, la crise des économies occidentales aidant, les retours l’emportent maintenant sur l’émigration: depuis 1975, près de 35 000 arrivées annuelles contre 20 000 départs. Les conséquences n’en sont pas toutes favorables: spéculation immobilière et gonflement du secteur tertiaire de distribution, inadaptation des enfants grecs nés en Allemagne. Mais il reste une colonie hellène nombreuse en République fédérale.

L’agriculture: résistances et dynamismes

L’espace rural est particulièrement remarquable par ses contrastes d’archaïsmes et de modernités. Les campagnes grecques abritent encore une paysannerie importante: lors de la dernière enquête agricole disponible (1977-1978), on dénombrait près d’un million d’exploitations. Mais la taille moyenne des exploitations reste très faible (3,6 ha) et le morcellement des parcelles demeure extrême: un quart des exploitations seulement compte une ou deux parcelles, mais ce sont les plus petites, et 40 p. 100 plus de cinq parcelles, totalisant plus de 60 p. 100 de la superficie cultivée. Cet émiettement des structures agraires contribue à maintenir une faible productivité du travail agricole. S’y ajoutent les traditions persistantes de la polyculture méditerranéenne, associant presque partout, sauf en Grèce du Nord, trop froide, les céréales, l’olivier et la vigne. Les structures d’âge du monde rural aggravent encore cette situation: en 1977-1978, plus de la moitié des chefs d’exploitation agricole avait 55 ans et plus, et 28 p. 100 plus de 66 ans.

Pourtant, partout en Grèce se sont multipliés au cours des dernières décennies des signes de modernisation de l’agriculture. Grâce aux prêts d’une Banque agricole particulièrement active et au réseau très dense, la mécanisation et la motorisation des exploitations se sont développées, entraînant souvent un suréquipement, compte tenu de l’exiguïté des lots fonciers (1 tracteur pour 4 exploitations en 1979). L’emploi généralisé du motoculteur dans les lieux les plus malaisés (cultures arbustives, terrains pentus) a modifié radicalement la peine des hommes. De même, l’utilisation des engrais chimiques s’est accrue grâce à la production nationale de fertilisants de synthèse. L’irrigation a fait aussi des progrès considérables: plus de la moitié des exploitations comporte des parcelles irriguées (1977-1978) et le quart de la surface totale cultivée est irrigué. La Thessalie, qui naguère était une terre calcinée l’été, reverdit aujourd’hui largement sous les prairies artificielles, entretenues par des systèmes d’aspersion. À la faveur de travaux d’aménagement hydraulique, le remembrement a fait son apparition dans les plaines alluviales de la Grèce du Nord.

Ces transformations techniques s’accompagnent du développement de productions spécialisées et commercialisées. À la trilogie méditerranéenne déjà évoquée se sont ainsi ajoutées, parfois substituées, les cultures légumières de plein champ, tomates notamment dans le Péloponnèse et en Crète, pour alimenter les conserveries, l’arboriculture fruitière (agrumes de Crète, du Péloponnèse et d’Épire, pommes et pêches de Macédoine centrale de plus en plus exportées vers les marchés de l’Europe occidentale), et les plantes industrielles, dont le développement est spectaculaire: coton irrigué dans les plaines de Grèce centrale (Béotie), en Thessalie et en Macédoine, tabac à grandes feuilles, dont les superficies se sont considérablement accrues en Macédoine et en Thrace au détriment du tabac à petites feuilles plus aromatisé et traditionnellement cultivé dans la montagne, betterave à sucre enfin, hier inconnue, dont le succès autour des grandes sucreries d’État en Thessalie, en Macédoine et en Élide (Péloponnèse occidental) a assuré l’autonomie sucrière du pays.

Cependant, les transformations agricoles et rurales massives se limitent aux grandes plaines de la Grèce du Nord (Macédoine, Thessalie, Béotie), aux huertas littorales du Péloponnèse septentrional (Corinthie, Argolide) et à quelques régions insulaires (Crète orientale), tandis que les archaïsmes se concentrent dans la Grèce méridionale, la montagne et les îles. Mais dans toutes les régions et situations géographiques, les évolutions progressives ont avivé les potentialités latentes d’une société rurale jusque-là assez égalitaire; sans faire naître une propriété latifundiaire largement inconnue en Grèce, plus encore que l’émigration, la modernisation agricole a créé des riches et des pauvres.

L’industrialisation: croissance et flexibilités

Si l’on veut prendre une mesure rapide de l’essor industriel de la Grèce, il faut considérer l’évolution de la structure de son commerce extérieur. En 1962, la nature des exportations est encore celle d’un pays sous-développé: les produits agricoles représentent 56 p. 100 de leur valeur, les matières premières 30 p. 100, l’ensemble des produits industriels moins de 9 p. 100. Dix-huit ans plus tard, les proportions respectives sont passées à 25 p. 100, 8 p. 100 et 44 p. 100: la Grèce est devenue un pays industriel, fournissant des produits manufacturés à l’étranger, et satisfaisant une partie de son marché intérieur, dont la demande s’est considérablement accrue en quantité et en qualité avec l’élévation du niveau de vie. En 1958, il y avait quelque 400 000 actifs employés dans le secteur industriel et artisanal; en 1978, ils étaient estimés à près de 700 000.

En fait, cette industrialisation rapide est le résultat d’une double évolution structurelle et géographique. D’une part, on a assisté à une régression des activités artisanales traditionnelles sous l’effet de la concurrence internationale et de produits manufacturés modernes: disparition quasi totale de la dinanderie (ustensiles ménagers en cuivre) au profit d’objets en plastique moulé, stagnation des filatures domestiques devant la progression des usines de tissage intégré, moindre utilisation des matériaux de construction coutumiers (pierre, bois), remplacés par le ciment et le fer à béton. D’ailleurs, le développement du tourisme, avec la demande d’articles folkloriques, a parfois freiné le déclin de petits ateliers ou a entraîné la rénovation de leurs circuits de distribution: objets en fer forgé, tissage de sacs ou de tapis en fibres naturelles ou synthétiques (Greek Art ), orfèvrerie fantaisie. Mais cet aspect très visible ne doit pas cacher l’importance du processus de substitution technique et technologique que l’industrie grecque a connu en quelques décennies. Pourtant, malgré de brillantes exceptions, l’entreprise reste souvent personnelle et les unités de production de petite taille: 88 p. 100 des établissements comptaient moins de 5 actifs en 1963; ils étaient encore 85 p. 100 en 1978, même si la proportion des établissements de plus de 30 personnes a presque doublé (1,2 p. 100 et 2,1 p. 100 respectivement).

Les transformations géographiques ont été plus remarquables: déclin des entreprises des petites villes de province, entraîné par la fuite, vers la capitale, des élites économiques à la recherche d’investissements plus rentables ou de sécurité pendant la guerre civile, disponibilité à Athènes de sources d’énergie (hydrocarbures et électricité thermique), de matières premières et de machines importées par le port du Pirée, de financement par des réseaux bancaires centralisés, de la présence d’un marché de consommation importante et en croissance. Tout concourait à renforcer la concentration spatiale de l’appareil de production: la grande région urbaine athénienne, qui regroupait déjà en 1958 le quart de tous les établissements industriels et artisanaux du pays et près de 45 p. 100 de leurs salariés, en totalisait, en 1978, respectivement 40 p. 100 et 52 p. 100.

Une pareille mutation industrielle ne peut s’expliquer que par la conjonction des efforts de l’État, des investissements étrangers, mais aussi d’initiatives de nationaux particulièrement dynamiques. Dès la fin de la reconstruction économique après le second conflit mondial et la guerre civile, l’État a su créer les conditions de l’essor: mise en chantier d’une infrastructure énergétique sur le lignite (Alivéri en Eubée, Ptolémaïs en Macédoine, Megalopolis dans le Péloponnèse) et l’hydroélectricité (barrages dans les vallées de l’échine montagneuse de la Grèce continentale), lancement d’un programme autoroutier de liaison entre les grandes villes du pays, mesures d’incitation et de protection des capitaux étrangers. Cette action s’est trouvée relayée par les décisions de Grecs cosmopolites, très liés à la finance internationale, et renforçant les secteurs de base de l’industrie: l’armateur Niarchos fondant la première raffinerie de pétrole à Éleusis, l’Helléno-Américain Pappas s’associant à Esso pour créer à Thessalonique un complexe intégré de pétrochimie et de sidérurgie sur l’eau, le banquier Andréadis, investissant dans une usine de fertilisants chimiques près de Kavala et dans des chantiers navals à Éleusis. Mais d’une manière plus générale, la Grèce s’est trouvée en situation favorable pour attirer les capitaux étrangers: régimes politiques musclés, quelquefois dictatoriaux, main-d’œuvre bon marché, augmentation du pouvoir d’achat, possibilité d’atteindre des pays proches moins développés. Ces potentialités se concrétisent dans des activités fort différentes, de l’Aluminium de Grèce, transformant les bauxites du Parnasse avec la participation de Péchiney, à Pirelli, installant une usine de pneumatiques à Patras, ou à Colgate-Palmolive et Coca-Cola faisant bénéficier les Grecs des bienfaits douteux de la consommation occidentale.

Les résultats de cet essor industriel sont loin d’être univoques. Souvent brillante, la croissance est toujours fragile. Les secteurs qui ont le plus progressé appartiennent à l’industrie légère et différenciée, la plus faiblement industrialisante: le textile est ainsi passé entre 1958 et 1979 de 14,7 p. 100 du produit intérieur brut de l’industrie à 17,7 p. 100; seule l’industrie métallurgique de base, quasiment inexistante au lendemain de la guerre, a connu un réel progrès (évolution de 1,7 à 5,2 p. 100), mais reste encore faible. La dépendance à l’égard de l’investissement étranger a accentué la perte d’autonomie nationale: direction externe de l’initiative, réexportation des bénéfices, extraversion de la consommation. Et la pollution a détérioré de façon peut-être irréversible les plus beaux sites du pays: souillures des côtes de l’Attique et du golfe Thermaïque (Thessalonique), gaz sulfureux attaquant les marbres du Parthénon. Mais il serait aussi vain d’ignorer les aspects positifs de cette industrialisation (distribution de salaires, élévation du confort de la population) que de la limiter à quelques multinationales tentaculaires. Elle révèle aussi, notamment depuis le démarrage de la crise économique, d’étonnantes flexibilités, témoignant des possibilités d’adaptation d’une économie jeune: réparation automobile florissant dans les quartiers centraux d’Athènes, en dépit – ou à cause – des lourdes taxes frappant les importations de voitures, ateliers de confection sous douane des marques vestimentaires ou des chausseurs européens les plus réputés. Les produits made in Greece peuvent devenir signe de qualité.

L’échange: traditions et mondialisation

Le commerçant grec est presque aussi vieux que l’histoire du pays. Et la croissance économique a encore accru toutes les formes de distribution: le nombre des établissements du commerce de détail a été multiplié par 1,5 entre 1958 et 1978, et plus d’un tiers de ce potentiel est concentré dans la capitale, contre un quart vingt ans auparavant. Paradoxalement, l’apparition dans les plus grandes villes de magasins alimentaires à grande surface en libre-service n’a pas fait disparaître ici la boutique à tout vendre: l’allongement des horaires d’ouverture du petit commerce, la densité de son réseau se révèlent des atouts compétitifs, confirmant cette impression d’économie à deux vitesses, beaucoup plus que d’archaïsmes résistant à la modernité.

Mais plus encore que par le renouvellement de ces activités traditionnelles, l’observateur est frappé par la véritable mondialisation de l’échange en Grèce: le tourisme international, la marine marchande, le commerce extérieur en sont les supports. En 1980, on a enregistré plus de 5 millions d’arrivées d’étrangers, contre moins de 100 000 en 1938, et guère plus d’un million dans les années soixante. La plupart arrivent par voie aérienne, notamment par charters (3,2 millions en 1980), par les car-ferries d’Italie (1 million en 1980) ou par les frontières continentales de la Grèce du Nord (800 000). Si les Européens sont les plus nombreux (300 000 Français, mais 800 000 Anglais et 500 000 Yougoslaves), on compte aussi des étrangers d’origine plus lointaine: 300 000 Américains, 75 000 Japonais. La mer, le soleil, associés aux pèlerinages antiques et à l’hospitalité grecque, réelle, mais habilement développée, expliquent ce succès grandissant.

La marine marchande est d’une importance plus grande encore. Avec ses pavillons de complaisance classiques (Liberia, Panamá), la flotte grecque est parmi les toutes premières du monde. Pétroliers de forte capacité, minéraliers, cargos transportant des denrées en vrac, sillonnent les mers du globe, tandis qu’une flottille nombreuse dessert les îles de l’Égée.

Malgré les revenus apportés par le fret maritime (1 800 millions de dollars en 1980), les touristes étrangers (1 700 millions) et aussi les remises des travailleurs migrants (1 100 millions), la balance des paiements grecs ne cesse de se détériorer (2,2 milliards de déficit en 1980). C’est le résultat d’une ouverture accrue à des échanges commerciaux extérieurs déséquilibrés. L’industrialisation, la croissance, mais aussi la consommation souvent exacerbée de biens importés, expliquent cette situation. Certes la dépendance du pays en hydrocarbures coûte cher, mais l’importation de voitures pèse deux fois plus sur l’économie nationale que tous les carburants réunis. C’est mesurer l’endettement extérieur de la Grèce, l’inflation amplifiée qu’il entraîne, et souligner une fois encore l’espèce de vertige d’une croissance fragile.

4. La contraction des espaces géographiques

Le croissant fertile

La Grèce est de plus en plus partagée entre un espace utile, concentrant sur un faible territoire les hommes et les activités dynamiques, et des espaces périphériques où l’occupation humaine est beaucoup plus extensive et même variable selon les saisons. La Grèce utile s’allonge en un croissant dissymétrique dont l’une des cornes suit la côte septentrionale du Péloponnèse, de Patras à Athènes (200 km), s’infléchit vers le nord à hauteur de l’Attique pour se diriger vers Thessalonique (à 550 km d’Athènes). Aux points stratégiques de ce dispositif, les trois plus grandes agglomérations du pays, Patras (275 000 hab.), Thessalonique (871 500 hab.) et Athènes (3 369 000 hab.), rassemblaient, au recensement de 1991, 44 p. 100 de la population totale de la Grèce, et l’ensemble des départements qui s’étirent sur cet axe de développement représentait 58 p. 100 de la richesse démographique nationale. La concentration économique est encore plus vive: à quelques très rares exceptions liées à des ressources énergétiques (mines de lignite de Macédoine occidentale et du Péloponnèse central, lacs de retenue hydroélectrique de la chaîne du Pinde) ou minières (bauxite et aluminium du Parnasse), tout ce que la Grèce compte de structures de production moderne, d’appareils de direction et de gestion du patrimoine intérieur, de liaison avec l’étranger, se trouve réuni dans cette bande de territoire relativement étroite.

L’explication de ces dissymétries majeures ne relève que très secondairement de déterminismes physiques. Certes, le croissant fertile de la Grèce se constitue autour de façades maritimes vitales (la profonde échancrure du golfe de Corinthe, les régions littorales de l’Égée septentrionale) et comprend les plaines les plus riches et les plus étendues du pays: huertas du nord du Péloponnèse, de la Béotie, de la Thessalie et de la Macédoine occidentale en Grèce continentale. En fait, les raisons profondes sont avant tout historiques et humaines. Pendant près d’un siècle, Athènes a, dans sa croissance, véritablement stérilisé démographiquement et économiquement d’abord la Grèce du Sud (îles Égéennes, Péloponnèse), puis la Grèce du Nord-Ouest (Épire). Le développement économique des trente dernières années, tout en renforçant la polarisation athénienne, a ranimé, mais très sélectivement, et sous l’étroite dépendance de la capitale, une province atomique. L’autoroute, qui permet de relier en quelques heures Patras à Thessalonique via Athènes, n’est pas seulement un outil de la croissance, il symbolise l’influx nerveux de la Grèce contemporaine.

Les régions du «centre»

La géographie réintroduit des nuances paysagères dans cet ensemble géo-économique. La côte septentrionale du Péloponnèse reste typiquement méditerranéenne, vouée à l’olivier, aux vignes à raisin sec et aux vergers d’agrumes irrigués (orangers, citronniers). Au milieu d’eux, les petites villes balnéaires (Aigion, Xilokastro) bénéficient du tourisme de villégiature des Athéniens et d’industries souvent florissantes (conditionnement de fruits, papeteries). À l’extrémité occidentale de cet axe de développement, Patras, vieux centre commerçant et industriel, a été réactivée par les investissements étrangers (Pirelli), mais surtout par le terminus portuaire des car-ferries d’Italie (Brindisi, Bari, Ancône), qui en font un point de passage des touristes et des lourds semi-remorques transitant de et vers l’Europe occidentale. Corinthe, 100 kilomètres plus à l’est, vit moins du passage, désuet à l’heure des supertankers, dans son célèbre canal, que du desserrement industriel de l’agglomération athénienne.

Au nord d’Athènes, les paysages changent progressivement et les influences septentrionales et balkaniques deviennent plus évidentes: l’olivier disparaît massivement dans la plaine thessalienne. Mais les mêmes impressions de développement et de richesse accompagnent le voyageur tout au long des 550 kilomètres qui séparent Athènes de Thessalonique: la Béotie, avec Thèbes partagée entre les zones d’activités industrielles essaimées de la capitale et les champs de coton irrigué, la Thessalie, longtemps divisée entre Larissa la terrienne et Volos la maritime, maintenant solidement amarrée au développement grec par ses deux pôles urbains, qui dépassent chacun 100 000 habitants en 1981, et redoublent la traditionnelle richesse agricole de la plaine d’activités industrielles prospères (agro-alimentaire, métallurgie différenciée). Enfin la Macédoine centrale apparaît la plus diversifiée et la plus riche: vergers du Vermion, sur le piémont de l’Olympe, coton et tabac irrigués dans les dépressions littorales de Piéria, blé dur dans la plaine de Thessalonique, usines aux champs dans toute la zone de Katerini, tourisme balnéaire sur les longues plages de sable fin, qui attirent surtout Allemands et Yougoslaves dans de gigantesques campings. Et Thessalonique, fière de son passé, forte de son commerce et de ses industries lourdes et différenciées, fondant toujours ses espoirs sur les débouchés de l’Europe centrale par la vallée de l’Axios-Vardar, est la seule métropole provinciale capable, sinon de rivaliser avec Athènes, du moins de faire figure de grande ville.

La Grèce périphérique

Là encore, la stagnation démographique et la morosité économique l’emportent largement sur la diversité des situations géographiques et historiques. Encore faut-il noter que la période intercensitaire 1971-1981 apporte des retouches nouvelles dans cette Grèce restée jusque-là à l’écart de la croissance: des villes moyennes (Iannina en Épire, Serrès et Drama en Macédoine orientale, Komotini en Thrace) connaissent un essor démographique souvent important. Il est plus fondé sur la distribution et les services que sur les activités proprement productives: la Grèce périphérique reste au mieux un espace de diffusion de la consommation.

Dans ce vaste ensemble, il faut se contenter d’évoquer des types régionaux, plutôt que d’en faire un panorama exhaustif. Dans le nord-ouest, l’Épire, bastion de hautes terres au-dessus de la mer Ionienne, vouée à la forêt et aux pâturages pelés, paraît ne pas se relever du voisinage d’une frontière longtemps hostile (Albanie). Malgré l’existence de riches plaines, où les productions sont souvent menacées par les intempéries (gel des orangers d’Arta), les campagnes épirotes sont des déserts humains où les villes émergent la nuit comme des oasis de lumières et d’animation: Iannina, la capitale régionale (45 000 hab. en 1981), fière du passé d’‘Al 稜 Pacha, mais plus encore de sa toute récente université, ou même Igouménitsa, petit port en face de Corfou, et première escale continentale des ferry-boats de Brindisi.

Plus méditerranéen, s’enorgueillissant de sa résistance aux Turcs et de ses héros de la guerre d’Indépendance, le Péloponnèse méridional (Messénie, Arcadie, Laconie) s’enfonce dans la régression démographique. La fuite vers Athènes, l’émigration transocéanique l’ont de longue date épuisé et les petites villes (Tripolis, Sparte) s’assoupissent, malgré la rénovation de leurs quartiers centraux et l’animation un peu factice de leur agora . Seule, au sud, Kalamata (43 000 hab. en 1981) peut faire illusion: mais en dépit d’un essor récent (ateliers de confection), la ville est loin d’avoir retrouvé ses riches heures de port prospère de la fin du XIXe siècle.

Le troisième type caractéristique est constitué par les îles Égéennes. Dispersées aux quatre vents de la mer, c’est un monde aux mille facettes changeantes: îles de marins (Andros ou Chios), îles de terriens (Mytilène ou Naxos), île de mineurs (Milos), ce fut un univers longtemps hostile que l’on fuyait pour le Pirée ou les mers lointaines, avant que le tourisme estival ne lui trouve de nouveaux charmes. Ils ne suffisent pas à enrayer le déclin dans les îles les plus éloignées (Chios, Mytilène, Samos), mais expliquent le redressement démographique très significatif de ces paradis pour vacanciers que sont les Cyclades et le Dodécanèse, avec Rhodes. Plus à l’écart des grands courants migratoires vers Athènes, la Crète a su en profiter à l’heure de la décentralisation de la croissance: cultures spéculatives pour l’exportation (tomates de Sitia, à l’est), complexes touristiques grandioses (Aghios Nikolaos), et même industrialisation (brasseries) et essaimage universitaire à Iraklion (111 000 hab. en 1981, 70 000 en 1961), la seule grande ville du monde insulaire.

Enfin, à l’autre extrémité du pays, la Macédoine orientale et la Thrace appartiennent déjà à l’Europe centrale. Terres à blé et à tabac, mais aussi espaces des minorités turques exclues de l’échange forcé des populations de 1922, ces régions ont longtemps souffert de leur situation géographiquement excentrique avant que, le tourisme international ou les tensions extérieures aidant, on ne retrouve les vertus de passage de la via Egnatia. Kavala (56 000 hab. en 1981), embarquement obligé pour Thasos, regagne un peu de sa gloire passée de grand centre industriel du tabac en Grèce du Nord et Alexandroupolis (35 000 hab.), au débouché du pont sur l’Évros, face à la Turquie, profite des garnisons implantées sur ce limes de l’hellénisme.

Au total, la Grèce laisse sur une impression ambiguë. Ayant incontestablement franchi le seuil du décollage économique, elle peut passer pour un pays de niveau intermédiaire, engagé dans une course de rattrapage des pays capitalistes les plus développés. L’accroissement des inégalités sociales, l’accentuation des disparités spatiales qui ont accompagné l’essor des activités la rattachent aux modes de développement des sociétés libérales. Son entrée dans le Marché commun, avant l’Espagne et le Portugal, concrétise cette unité. Mais la dépendance croissante par rapport aux économies des pays riches rend improbable le succès de cette course-poursuite. L’originalité de la Grèce serait-elle alors d’appartenir à ce type de «nouveaux pays», moins affectés que le Tiers Monde par la détérioration des termes de l’échange Nord-Sud, mais aussi moins sensibles que les vieilles nations industrialisées à une crise économique, qui est avant tout faite d’adaptations? La moindre rigidité de la société grecque, la nouveauté de ses espaces peuvent être, dans cette remise en cause de l’ordre mondial, des atouts non négligeables.

Encyclopédie Universelle. 2012.

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